1986, j'ai 22 ans

1986


J'ai 22 ans, jeune puceau maigre comme un asticot qui serait maigre comme moi, blouson noir en permanence sur le dos, je ne l'ôte jamais, sauf pour me laver ou dormir. M'en fous je suis amoureux de Kim Wild !

Mes trois poils de moustaches qui commencent à poindre font rire tout le monde. J'ai toujours dit que j'avais de l'humour, d'ailleurs naître garçon alors que mes parents m'espéraient fille, n'est-ce pas là une preuve d'humour ultime ?

Je suis sûr que quand on parle de moi, les gens s'arrêtent de penser... (Hein ?) Non, rien, c'était une paranth... Oh ! Pardon, je n'avais pas vu que vous aviez tourné la page !

On continue notre thérapie.

Un beau jour de soleil où il faisait vraiment beau, et pour moi, et pour les autres, je suis monté sur une colline qui surplombe ma ville de plusieurs têtes pour ne pas dire de plusieurs arbres. Depuis, les arbres ne sont plus... La couche d'ozone a un trou comme mes chaussettes. En silence j'ai contemplé ma ville. Ma ville qui n’est jamais silencieuse et qui ne me contemple jamais.

Dieu ce qu'elle a changé ! Tous ces nouveaux immeubles, ces nouveaux quartiers. Est-ce possible sans la carte vermeille SNCF ? On se demande d'où viennent toutes ces personnes, et où elles habitaient avant ! Est-il possible que tout change à ce point et que les gens n'y prêtent pas attention ? Remarque si y ne prêtent pas on ne leur rendra pas !

Les gens eux-mêmes ont changé. Ce sont ces mêmes personnes qui bouleversent tout avec le temps. À moins que ça ne soit le temps... Annie(1) tu as raison, tu sais ça ?

Et d'un seul coup, je me sens vieux. À 22 ans à peine, je suis épuisé de vivre, et une tristesse infinie m'envahit. Pourquoi tout défigurer ? Je le crie bien fort, LE BÉTON N'EST PAS TOUJOURS BEAU ! L'écho répercute ce cri dans la vallée... Je ne veux/peux pas vivre dans un blockhaus...


2007

J'ai 43 ans, presque 2 fois mes 22 ans !

Tout est plus moche. Tout est plus moche. Tout est plus moche... Je n'ai plus de blouson noir, Kim Wild s'est mariée, mais pas avec moi. Je ne monte plus sur cette colline du haut de ma ville où j'aimais aller trouver le calme, elle est envahie tous les jours et tous les soirs par des voitures qui hurlent leurs décibels de musique de merde bonne pour skyrock qui est au rock ce que Chantal Goya est à la peinture. En plus, la colline est pleine d'obsédés sexuels qui me la montrent alors que j'en ai une et ça me suffit bien...

Constructions, bétons, nouvelle place du marché sans AUCUN arbre, que des dalles qui vont chauffer au soleil de l'été... Dire qu'on appelle ça une ville "verte" !

Il y a aussi, de temps en temps, des mouches, vertes également, qui survolent quelques étrons oubliés le long des trottoirs de la rue de Lorraine...


(1) Annie Girardot, dans un de ses spectacles qui malheureusement à fait un bide dans les années 80.

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